Qu' est ce qu' un espace naturel ?

Le sujet posté ICI m' amène à me poser plusieurs questions à propos des espaces gérés pour favoriser la biodiversité des sites.

Est-ce qu' un espace naturel existe en tant que tel ?
Tout dépend sans doute de la place qu' on réserve à l' homme dans les écosystèmes. Fait-il partie intégrante de la biodiversité ?

La présence des humains dans les écosystèmes pose le problème de savoir si leur action inconsciente ou déterminée qui participe à les dégrader, les maintenir ou les favoriser, tend à appauvrir, conserver ou développer ces systèmes.

Lorsque l' homme intervient, quel statut ont ces parcelles sur le plan environnemental, car je suppose qu' on ne peut plus qualifier ce lieu d' espace naturel ?
Protégé, certes, mais plus naturel.

Qu' on se comprenne bien, ce n' est pas la nature des opérations qui m' interpelle mais l' expression qui associe ces mots "naturel" et "protégé" qui sont pour moi antinomiques.

Par exemple, "site naturel protégé" ça me choque toujours un peu quand je constate que ces mots sont associés comme souvent pour signifier "sauvegarder un espace".
"Sauvegarder", cela veut-il dire "laisser faire la nature", sachant que celle-ci évolue en se transformant naturellement ?









Pour moi, une réserve qui exclue la présence de l' homme est naturelle, c' est un espace protégé mais avons nous tous la même perception des choses ?

D' autres avis ?

Question difficile , déjà il faudrait qu'on comprenne bien le vocabulaire de la question et celui qu'on va utiliser dans la réponse ...
Comme je l'ai déjà exprimé, mon ressenti est qu'en France, l'ensemble du territoire est anthropisé depuis 2000 ans. Je ne sais pas si on saura un jour ce qu'était la nature avant l'intervention humaine, et si c'est souhaitable.

Le constat actuel, c'est que les espèces disparaissent à un rythme sans précédent.

Ces 100 dernières années, les bouleversements ont changé d'échelle et de gravité. L'emprise de nos zones industrielles , centrales, autoroutes, friches industrielles, dépotoirs , mégalopoles, surfaces agricoles stérilisées a augmenté dans des proportions impressionnantes. Il est à craindre que les changements planétaires (températures, composition de l'air et de l'eau, espèces invasives) affaiblissent encore les capacités de survie des espèces naturelles locales

Alors le mot "protégé" , si c'est pour protéger des espèces qui ont échappé à la disparition, c'est déjà ça.

Après, il y a ici et là la volonté de tenter de reconstruire quelque chose de moins stérilisé, de "plus ressemblant à de la nature" en espérant que les disparitions de populations y seront ralenties. Ces tentatives étant précaires et couteuses, il faut aussi les protéger de certaines formes de vandalisme.

Finalement, les formules raccourcies sur les panneaux, elles n'ont pas un sens très précis, si ce n'est "ici, on détruit moins qu'ailleurs"

François Terrasson: "Une réserve ne peut par définition pas être naturelle insistait-il, de manière parfois provocante à l'égard des gestionnaires de réserves naturelles ou de l'ONF."

A son époque, François Terrasson prônait déjà le concept de "naturalité", aujourd'hui repris dans de nombreux ouvrages par un de ses plus fidèle disciple, Jean-Claude Génot.
Jean-Claude qui travaille aujourd'hui dans un PNR est devenu un ami par la force des années, mais cela ne nous empêche pas d'avoir des avis divergeant sur ce que l'Homme doit faire ou laisser faire. Je vous invite d'ailleurs à lire l'un ou l'autre de ses ouvrages, avec lesquels je ne suis pas toujours en tous points d'accord, mais qui ont le mérite de bien exprimer son point de vue, le point de vue de la "naturalité".

Alors oui, il existe encore des espaces naturels, non influencés par l'Homme et qui sont régis par les seules lois de la nature, mais il en reste peu, surtout dans le monde dit "civilisé"!!

L'Homme ne réagissant pas en général sur une échelle qui le dépasse, les réflexions sont menées sur le passé proche, le présent et le futur proche.
Ainsi, la nature aujourd'hui "doit" être protégée suite à la perception d'un danger potentiel présent ou à venir, par rapport à une situation du passé idéalisée....le fameux "c'était mieux avant".

En fait la question à se poser est assez simple, est-ce que l'on veut garder ce que l'on a ou attendre de voir, quitte à ne jamais le voir, ce qu'il pourrait y avoir "naturellement" après si on ne fait rien.

Les CREN ont choisi comme ligne de conduite assez générale de conserver tout au moins le présent, en essayant de l'améliorer pour l'avenir, quitte à intervenir pour y arriver.

Petit exemple simple et qui parlera à tous ici en tant qu'amoureux des orchidées.
La grande majorité des orchidées vivent sur des lieux qui ont presque toujours été "utilisés" par l'Homme, d'une manière ou d'une autre et c'est surtout vrai pour les fameuses pelouses calcaires, historiquement pâturées par de grands troupeaux d'ovinset qui se transformeraient naturellement en fruticée puis en boisement si l'Homme ne se substituait pas à ce pâturage aujourd'hui disparu.
C'est un pléonasme, mais on essaye de conserver ce que l'on ne veut pas perdre!!

D'un point de vue plus personnel, oui les espèces disparaissent sous nos yeux et oui on n'en a jamais vu disparaitre autant en aussi peu de temps....du point de vue de l'échelle humaine.
Personne n'était là pour relater les changements lors de la crise du Permien ou lors de celle du Crétacé....à chaque époque son facteur déclenchant, la crise que nous vivons aujourd'hui a comme facteur déclenchant l'Homme, mais cela n'en reste pas moins qu'une crise parmi d'autres et cette crise aura pour résultat inéluctable la disparition de l'espèce humaine, une des espèces qui aura vécu le moins longtemps à l'échelle de la Terre.
La belle affaire....
Nous ne serons plus là, mais là Terre ne cessera pas de tourner. La vie continuera, reprendra sous une autre forme comme cela a toujours été le cas depuis quelques milliards d'années...tout simplement!!

Je souscris à tout ce que vous dites...! Même, et surtout, vos interrogations !
(Sauf pour la disparition de l'espèce humaine : ça viendra, mais je ne pense pas que ce soit pour tout de suite !)

Effectivement, François Terrasson (je remercie gooorges qui m'a fait découvrir "La Peur de la Nature", un livre qui m'a énormément parlé) définissait la nature comme étant tout ce que l'homme ne peut pas contrôler (y compris, donc, ses propres émotions).
Dans ce cas effectivement, "naturel" et "protégé" sont antinomiques, comme tu le dis, Georges. L'homme est le fruit de la nature. Il en fait partie, mais il en est aussi un peu étranger (puisque ce qu'il fait n'est pas considéré comme naturel).

C'est là effectivement tout le dilemme auquel sont confrontés les organismes de protection de la nature. Faut-il essayer de sauver le lézard ocellé, qui disparaît inexorablement de certaines régions à cause de la régression de son milieu suite à l'abandon du pâturage ovin sur les pelouses sèches ? Idem pour les orchidées ? Faut-il ré-ouvrir, par des actions ciblées, les milieux qui se ferment à cause de la déprise agricole ? Faut-il tuer les sangliers en Italie qui ravagent des stations entières en mangeant tous les tubercules ? Faut-il protéger les orchidées urbaines des lames des tondeuses ? Faut-il prôner la fauche tardive des talus des bords de route (au profit des orchidées, mais peut-être aux dépends d'autres plantes) ?

J'ai l'impression que les actions de protection de la nature sont de plus en plus guidées par la notion de "services écologiques". (Cela a sans doute toujours été le cas, mais maintenant on a mis un nom dessus.) C'est-à-dire : on protège tel écosystème parce qu'il fournit tel ou tel service à l'homme (production alimentaire, fourniture d'eau potable, fourniture de bois, lieu récréatif). La protection des orchidées, ou des espèces rares en général (ou de la biodiversité), répond souvent à ce schéma : le service rendu étant, entre autres, la satisfaction du plaisir égoïste des naturalistes ou des amoureux de la nature (je m'inclus dedans), qui souhaitent continuer à jouir d'espaces naturels pour assouvir leurs passions.

Et ben, encore un sujet qui ne passionne pas les foules....
Je pensais tout de même que les Ophrysiens se sentiraient un peu plus concernés!!??

gg68 a écrit:Et ben, encore un sujet qui ne passionne pas les foules....
Je pensais tout de même que les Ophrysiens se sentiraient un peu plus concernés!!??

C'est que la question n'a pas vraiment de réponse !

Quelques réflexions personnelles ...

Derrière ces protections "d'espaces naturels" se cachent divers systèmes "d'anti-anthropisation libérale" qui vont de la réserve intégrale du Lauvitel faiblement anthropisée à l'éco-jardinage (cf l'exemple des protection anti-vent sur les dunes) ou même à la "renaturation" de sites industriels abandonnés ou non par l'homme.
Bon, personnellement je préfère me promener dans l'éco-jardin de la Vanoise que sur les pentes d'une station de ski proche (= j'utilise le Service écologique "Aménités environnementales" ... mais mon consentement à payer pour ce Service est beaucoup plus faible que pour le ski, ce qui n'est pas forcément très raisonnable )

Le plus gênant derrière cette vision, c'est que la "Nature" est encore perçue par les décideurs au travers de son état (= d'une photo à l'instant t) et non de sa dynamique. Il en va de même pour la biodiversité qui est perçue au travers de sa dimension "Nombre d'espèce" ou "Espèce rares" uniquement, la diversité des habitats et celle des gênes étant oubliée.
Je rappelle souvent lors de formations que les 2 hots spot de biodiversité en métropole sont le Jardin des Plantes et le zoo de Vincennes... d'un certain point de vue. Cette vision statique conduit à présenter les "reset events" (un feu, une éruption volcanique, un tsunami ou une crue majeure) comme des catastrophes sur le plan écologique alors que c'est souvent tout le contraire... les espèces pionnières n'existent que sur des milieux fortement et récemment modifiés par définition.
On protège des tourbières mais on fait tout pour empêcher la formation naturelle de nouvelles zones humides : on stabilise et on végétalise les pentes, on détruit les éboulements qui pourraient former de nouveaux lacs...bref on fige.


Je sens derrière l'intervention de Zinb une critique de l'Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire sur la notion des Services écologiques : il faut rappeler que dans cet exercice, l'unité de comparaison choisie était le $ pour faire prendre conscience à certains économistes (qui ont un rôle décisionnel un peu plus fort que les écologues - même si on peut le regretter) que ces services avaient une valeur. Jusque là les écologues disaient que la Nature n'avait pas de prix (= pas de valeur...) et il n'y avait donc aucune raison de prendre en compte les écosystèmes dans les schémas économiques.

Le fait de montrer qu'ils représentent environ 2 fois le PIB terrestre, que la protection des hots spots de biodiversité n'est pas une question d'argent (coût des terrains < à 1% du PIB terrestre) est une façon, sans doute moralement discutable, d'inciter nos systèmes politiques au sens large à prendre en compte les limites de la Planète Terre par rapport à la survie de nombreuses espèces (dont la nôtre très probablement).


Aujourd'hui, je trouve que dans un majorité de cas au moins en France métropolitaine, on doit plutôt parler d'anthroposystème que d'écosystème...ça éviterait quelques idéalisations sur la "Nature" de toute façon modifiée a minima par nos rejets atmosphériques qui modifient profondément les cycles du Carbone ou l'Azote.

Reste donc un sujet très intéressant qui est la Protection des Anthropo-systèmes ou des Anthropo-espaces à vocation d'Aménités environnementales... ce qui nous ramène à la question de Geo_lh

Difficile de faire court sur ce sujet, mais d'accord avec Michel sur son interprétation des panneaux... un seul regret c'est l'étiquetage parfois pléthorique de ces "espaces remarquables" : ici c'est "naturel" donc à coté c'est moche. Je trouve les panneautages explicatifs de certains sentiers d'interprétation beaucoup plus intéressants et sans doute pas beaucoup plus chers.


Sur ce, il est temps d'aller voir quelques "plantouses"...

Merci Georges d'avoir abordé ce sujet. Je pense que ces espaces "naturels" et qui ne le sont pas vraiment sont nécessaires. Pratiquement partout dans le monde nous avons profondément modifiés les biotopes dits "naturels" avant l'arrivée de l'homme. La répartition des espèces animales et végétales a été modifiée par ces boulversements. A tel point que quelqu'un dit un jour que les Parcs Nationaux étaient en fait des zoos. Mais nous devons le faire pour atténuer les dégats irrémédiables que nous causons. Sans résonner par l'absurde, ni par provocation, je considère que comme l'homme étant un animal comme les autres, tout ce qu'il fait est naturel. Même la pollution, même l' abbatage des forêts primaires, même la surpêche en mer et la consommation des énergies non renouvelable, tout le CO2 séquestré dans les couches géologiques depuis des centaines de millions d'années et remis en circulation. Il a un cerveau animal et il ne se soucie que de ses besoins immédiats. Bien sûr, c'est moi, c'est vous, c'est tout le monde : tous coupables, tous responsables, mais nous n'y pouvons pas grand'chose finalement. Et puis, la protection de la nature est basé sur le volontarisme et ça ne peut pas aller trés loin au niveau mondial face aux besoins de l'économie et de notre confort. Ce qui est en train de se produire est inéluctable, l'environnement qui nous a permis de prospérer depuis des milliers d'année se modifie rapidement et je rejoins gg68. La Terre n'est pas menacée, mais nous oui, elle continuera mais sans nous, un nouvel équilibre se crééra. Nous serons sur cette Terre bien moins longtemps que les dinausures.

En quoi l'espèce humaine n'est pas naturelle ?

La nature peut-elle produire autre chose que du naturel ?

Il faut d'abord se situer par rapport à ce type de questions qui renvoient à un vieux phantasme, celui de l'origine... qui se déploie ensuite en une multitudes de phantasmes seconds, que l'on retrouve dans presque toutes les discussions où la nature est en jeu, ce qui est bien humain et naturel...